16 juillet 2015 • FED Legal • 13 min

Pour sa première Matinale Fed Légal, Audrey Déléris et Amira Mahfoudhi ont réuni près de 50 personnes autour du sujet "le contract manager : le juriste de demain ?". Trois intervenants ont partagé leurs expériences : Alexandre Menais (ATOS), Pierrick Le Goff (ALSTOM) et Grégory Leveau (DELL / E2CM).
Voici la synthèse des échanges : 

  1. Contract manager / Juriste d’entreprise ?
    1. Des fonctions aux activités similaires a priori… mais aux domaines d’intervention en réalité différents
      La confusion vient de la similarité des fonctions, que Grégory Leveau, Directeur Europe du contract management chez Dell et Président de l’Ecole Européenne de Contract Management E²CM considère comme « sœurs, puisque la brique juridique est présente dans les deux fonctions. La principale différence tient surtout à l’intervention du contract manager, qui se fait durant tout le cycle du contrat, de la phase d’opportunité à l’exécution du contrat. Si l’on trouve des contract managers qui interviennent encore sur la phase pre-sales ou exécution uniquement, le but est toujours d’anticiper les risques et d’optimiser le contrat. Le contract manager maitrise la gestion de projet, celle du risque qu’il soit juridique, financier et/ou opérationnel, la négociation avec le client – en amont ou sur les avenants, la finance et l’optimisation du budget. »
      Pierrick Le Goff, Directeur Juridique et membre du Comité de Direction d’ALSTOM ajoute que «  lors d’un retard de  projet, le  contract manager a  connaissance de toute la documentation (courriers, emails…) et est en position de lead sur cette partie. Le juriste lui, intervient davantage  sur la stratégie du projet et la régularité d’une pénalité de retard par exemple ».
      Le contract manager ne vient pas se substituer au juriste, mais bien au contraire compléter sa stratégie… avec une implication plus opérationnelle et « business » en n’ayant qu’un seul but : l’optimisation du contrat, et non sa conclusion.

    2. Un autre niveau de structure pour le client
      Le Contract Management s’établit et se vit de manière différente selon le secteur d’activité de l’entreprise. Mais cette fonction permet dans chaque hypothèse de mieux optimiser le contrat et d’assurer un suivi rigoureux de son exécution.
      Pour Alexandre Menais, Directeur Juridique du Groupe ATOS, « la réalité est là : les contrats sont plus complexes, il y a de grosses considérations de prix et de qualité. Beaucoup de litiges tombent dans le champ de l’arbitrage, et les fonctions support ont de moins en moins de moyens. Il est absolument nécessaire de sécuriser la marge opérationnelle afin d’optimiser le contrat, et c’est de plus très structurant pour le client d’avoir un contract manager».

2. Attraits pour les candidats et intérêt pour les entreprises ?

3. Le  contract manager à l’international

4. Les profils de  contract managers rencontrés par Fed Légal

Grégory Leveau : « Dans l’industrie, on trouve la plus grande proportion de contract manager dans les secteurs du gaz et du pétrole, puis dans la construction et enfin les NTIC. 50% des personnes formées à l’E²CM sont juristes. Nous avons de plus en plus de financiers et de consultants en reconversion, notamment dans le secteur des NTIC. Il existe deux types de formation : pour les juristes et les non-juristes. »

5. La rémunération des contract managers

6. Les perspectives d’évolution des contract managers

A. Les perspectives d’évolution en industrie :

Dans le secteur industriel, le contract management est une fonction qui a déjà fait ses preuves et sur laquelle il est déjà possible d’avoir du recul. Pierrick Le Goff estime que :
- Le passage juriste / contract manager est « facile, si le juriste fait l’effort de changer de domaine d’activité, pour prendre un peu de distance sur l’activité »,
- Le passage contract manager / juriste est envisageable dans le cas d’une formation initiale en droit ou d’une reprise d’études pour le cas d’un ingénieur,
- La suite logique pour un contract manager est de devenir Head of contract management, en région par exemple, avec une participation au CODIR,
- Il est également possible pour un contract manager d’évoluer vers des fonctions en claim.

B. Les perspectives d’évolution dans le secteur des services :
Alexandre Menais estime qu’il n’a pas suffisamment de recul pour apprécier pleinement les perspectives d’évolution des contract managers. « La première responsabilité d’Atos est l’employabilité de nos collaborateurs dans l’entreprise. Pour ce faire, il est nécessaire de les former et les faire évoluer.  Même si c’est une ambition, encore faut-il trouver la bonne personne et au moment venu.
Un contract manager peut ainsi évoluer vers une fonction de head of contract management, puis au sein du business. L’évolution peut également être horizontale, avec un changement de secteur. »
L’organisation des fonctions autour du contrat se dirige de plus en plus vers une confusion entre juriste et contract manager, pouvant s’appuyer sur des experts mais agissant comme un réel « risk manager, le juriste de demain ». L’idée est de sortir de l’ornière de la clause pour développer de très bonnes compétences en négociation, qui intègrent l’économie du contrat et participe à la profitabilité des deals.

7. Un recrutement sur les compétences

8. Quelles sont les perspectives de croissance sur le marché du contract management ?

Nos intervenants se sont employés à expliquer les raisons de l’évolution irrésistible du marché des contract managers.
Le passage du transactionnel au relationnel est le premier pas vers une évolution du marché, pour Grégory Leveau. Le mode collaboratif qui se crée autour des contrats place automatiquement l’acteur qui aura à sa charge « la gestion des risques, la volonté de développer le relationnel et un rôle de facilitateur » comme clé de voûte du futur business.
Pour Grégory Leveau, un autre pan de développement doit être pris en compte : l’externalisation de la fonction, permettant aux entreprises n’ayant pas les ressources financières ou un besoin pérenne de s’adjoindre les compétences de contract managers pour un projet précis ou un temps donné.
Ce marché encore naissant, est un nouveau périmètre de jeux pour les directions juridiques. Selon Alexandre Menais, le contract manager a le contrôle des données de 3 indicateurs essentiels pour l’entreprise : le revenu, la marge opérationnelle et le cash. Cela  a pour conséquence d’offrir aux directions juridiques une réelle opportunité d’évolution, celle de se replacer au cœur des sujets de l’entreprise. La fonction de Directeur Juridique est en pleine évolution. Le contract management doit représenter une ambition pour cette nouvelle direction juridique, celle de créer un nouveau positionnement.
Pierrick Le Goff voit des perspectives clairement positives, qui vont s’améliorer avec une meilleure visibilité et compréhension du métier par les autres entités du groupe. «  Le commentaire que [lui] adressent les opérationnels : il faut augmenter la visibilité du contract management dans l’organisation. Les juristes ont un historique qui leur permet d’être bien implantés, pas les contract managers ».

9. Questions/réponses

 - Question n°1 : Quelle est la position hiérarchique des contract managers dans une équipe ? Est-il doté de pouvoir réel ou simplement d’un pouvoir de persuasion ? Combien de contrats un contract manager peut-il gérer en même temps ? Cela pose dans ce cas la question de l’externalisation. Enfin, plus une équipe de contract managers est bien ficelée, plus les juges sont exigeants, même s’il ne s’agit que d’obligation de moyens. La question de responsabilité du contract manager se pose.
P. Le Goff : Le volume du projet est primordial : pour les volumes très importants, un contract manager est dédié à un projet, si le volume est plus faible il peut suivre un portefeuille de 2/3 projets.
La question de temps auquel on doit se dédier est importante. En termes de diligence, il peut y avoir une plus forte répression s’il y a un manquement (…) : la disponibilité et la compétence de la personne sont des points centraux.
Pour le poids hiérarchique : le meilleur exemple est lorsque le contract manager s’est investi dans son projet, (…) il devient quasiment directeur de projet adjoint. (…) Nous avons eu le cas d’un contract manager dont le Directeur de projet partant en vacances a souhaité le nommer adjoint. Le poids dans l’équipe projet peut-être très important.
A . Menais : Dans une fonction régalienne de l’entreprise, plus je suis proche du projet, (…) plus  j’ai besoin d’indépendance dans l’exercice de la fonction. La difficulté est un manque d’association au projet du contract manager.
Un ratio est clair entre la responsabilité du juriste et du contract manager (…) : pour éviter un certain overlap (…) il est nécessaire d’avoir un référentiel clair.
Il existe un aspect vertueux dans la gestion de la preuve et un effet dissuasif de la frénésie du contentieux(…). Dans la partie pre-sales, avec un contract manager, tout est carré. Les minutes sont adressées aux clients… l’effet est dissuasif. (…) Mais il y a nécessité d’avoir des méthodes et une documentation très normée pour être certain qu’il n’y ait pas de déviance dans les minutes, d’où la formation…

- Question n°2 : Question sur l’organisation : lorsque que le contract manager est intégré dans la direction juridique monde ;
 est-ce une vraie intégration ? Comment s’articule-t-elle dans les pays, en pratique ?
Lorsque le contract manager va chez le client, y va-t-il seul ou avec le juriste ? La fonction peut-elle être assumée par une seule personne Juriste/contract manager ?

A. Menais : L’Organisation est intégrée dans la direction juridique, Maria Pernas mon adjointe, s’occupe de toute la partie opérations, dans laquelle il y a le contract management. L’idée était de se lancer avec une structure légère de management.
Sur le reporting, les contract managers ont un lien hiérarchique (le chef de projet) et lien fonctionnel (le Head Of Contract Management). Leur coût est assumé par les comptes. Ils sont facturés aux clients, noyés dans la masse. Néanmoins nous manquons encore de recul. La Direction Juridique est en train de démontrer que ça marche. La Direction Générale pour l’instant nous suit, c’était une étape indispensable.
Aujourd’hui, le contract manager est en rapport avec le client principalement sur la partie « post-sales », mais il peut également exister un intérêt à avoir un contract manager en pre-sales. La coopération des métiers se passe très bien, sans superposition entre les deux fonctions.
La fusion des deux fonctions quand il n’y a pas de contract managers, pourrait être une ambition, pas forcément impossible(…) Néanmoins, un juriste doit est certifié au contract manager. Et le Contract manager qui souhaite faire du juridique prend un risque aussi.

- Question n°3 : Le Contract Management chez Alstom, comme de manière générale est un peu une spécialité ou une mode. La question sur le positionnement entre juriste et directeur de projet est la suivante : quel est l’intérêt de dépenser 100 K€ par an pour un Contract manager ? On a parlé des KPIs mais comment peut-on mesurer la rentabilité/efficacité des contract managers et la défendre devant les directions générales ?
G. Leveau : Le contract manager est le seul à avoir une vision globale :
• Le  juriste intervient en phase avant-vente et sur l’exécution du contrat comme pompier en mode réactif, lorsqu’il y a un point à résoudre ;
• Le chef de projet lui n’intervient pas en phase avant-vente.

Le Contract manager tourne autour du cycle, il est seul sur un projet à identifier tout type de risque. Il s’agit d’un métier bien spécifique qui ne pose pas de problème à s’imposer parce qu’il a une très forte valeur ajoutée.

Il y a 2 grands types de leviers :
• Limiter la responsabilité, ne pas perdre d’argent,
• Développer le compte, en maximisant le revenu et la marge.
Les KPIs doivent être basés sur ces deux aspects : limitation de la responsabilité (quel coût supplémentaire peut-on éviter ?), et les perspectives de croissance que l’on va identifier. On cherche ces objectifs (KPIs) directement dans le contrat ou liés  à des éléments de ce dernier, pour dégager un maximum d’effectivité. Par exemple, le Contract manager gère le risque. Il peut se fixer comme objectif de ne jamais dépasser la contingence fixée dans le budget (autour de 10% en général) et même de réintégrer une partie en bénéfice en fin de projet.
A. Menais : Il y a une vraie éducation qui se fait sur nos comptes, pour présenter l’avantage vertueux sur le long terme.
Au même titre qu’on ne mesure pas les capacités sur la fertilisation du contrat, le contract manager a la responsabilité de faire fertiliser le compte. Si vous êtes dans un avenant, elle suppose un avenant supplémentaire et la société fait de l’argent, on est bien dans la mesure de la performance d’un Contract manager, et son impact sur un compte : gestion des pénalités, du timing, des rappels au client de ses obligations, permet de sécuriser le contrat.